| AUTO-Biographie
Histoire mouvementée de ma B12-Bourguignonne par Henri JUST |
Chapitre V - La B12 libérée
En septembre 1944 la B12 fut mobilisée, comme beaucoup d'autres, pour transporter hommes, armes et bagages à la bataille d'Autun. Un coup de canon lui arracha tout le côté gauche ... Quiconque l'eut abandonnée; mais le Pâquiot n'était pas quiconque!
_«La Saône et Loire est libérée disait-il, mais c'est pas ça qui va me donner à manger!»
Pressentant que désormais, sa vie était liée à celle de la voiture, il décida de la ramener. Ce ne fut pas une descente triomphale de la vallée de l'Arroux comme en 1927 ... On racontera longtemps qu'avec son radiateur percé l'auto avait consommé davantage d'eau que la locomotive du tacot qui suivait à peu près le même chemin!
Après quatre années de quasi chômage technique, le Breloup (1), à l'entrée de Gueugnon, accrochait sa nouvelle enseigne : GARAGE de l'AVENIR ... lorsqu'il vit arriver le Pâquiot et son étrange monture ...
Eberlué, il entendit le conducteur lui demander de réaliser, au plus vite, un miracle à partir des morceaux encore intacts de la voiture ... Ce miracle serait financé grâce à un petit pécule récupéré par le Pâquiot lors des parachutages de l'été 1944.
Le Breloup réalisa que «l'AVENIR » était arrivé; il se mit au travail avec les moyens du bord ... Cela prit un peu de temps. Le résultat fut, pour le moins, surprenant, mais fonctionnel.
Très satisfait et sûr de son plan, le Pâquiot partit avec la voiture rencontrer le Léon, maire d'un gros bourg des alentours. Il lui proposa ses services comme secrétaire de mairie, chef cantonnier, garde-champêtre et bien sûr chauffeur ... car il mettait gracieusement la camionnette (avec un petit stock d'essence du «maquis») à la disposition de la commune. Le Léon qui se débattait au milieu de mille difficultés accepta le marché; le Pâquiot fut embauché. Cela déclencha une belle tempête à l'ombre du clocher ... les vieux du pays accusant le jeune maire de vouloir ruiner le village par des dépenses inconsidérées.
Le Pâquiot attendit son heure ou plutôt le jour de la corvée : beaucoup de villageois payaient encore leurs impôts locaux par des journées de travail dues à la commune. Il s'agissait de rempierrer les chemins en transportant les matériaux à la brouette ... Dur labeur!
Cette fois, les «corvéables» découvrirent avec une belle surprise que la B12 avait déjà déposé la terre glaise et les pierres partout où il y avait des trous à reboucher. La journée de travail devint (presque) un plaisir et, le vin chaud final aidant, le Léon fut encensé ... son avenir électoral était assuré!
Par un beau dimanche de printemps, la B12 fut mise à disposition de l'équipe de foot locale qui partait affronter un autre village, près de Digoin. Conduite par un dirigeant sportif «de confiance», elle transportait une partie des joueurs.
La chance tourna vite du bon côté et le dirigeant commença aussitôt à arroser la victoire future ... Déjà «gris» à la mi-temps, il était complètement «noir» au coup de sifflet final. On dut le porter dans la cabine de l'auto!
Les perdants trouvant là une occasion de venger la défaite prodiguèrent des encouragements particulièrement «vaches» pour le retour ...
La route du retour est plutôt droite et plate. Elle ne s'élève modestement que pour franchir un canal à petit gabarit appelé la Rigole d'Arroux. Le chauffeur (compte tenu de son état) renonça à grimper si haut et se dévoya à droite sur un terre-plein herbeux qui conduisait tout droit au canal.
Ce fut plus comique que tragique!
La B12 écarta avec douceur les roseaux du bord et piqua du nez dans l'eau ... Le poids des joueurs juchés à l'arrière rétablit l'équilibre et l'auto se posa sur son chassis avec le derrière en l'air!
Des pêcheurs firent preuve de bon sens en appelant à l'aide un tracteur «Petit Gris» qui tira la voiture sur la terre ferme.
En haut lieu, on décida de ne plus prêter la camionnette municipale.
Les années cinquante étaient bien entamées et l'on songeait enfin à lui accorder une retraite bien gagnée. Par contre personne n'avait le coeur de l'emmener chez le ferrailleur.
Le Léon eut alors une idée...
Un beau matin le Pâquiot et lui partirent avec la B12 pour une dernière tournée d'inspection de la voirie locale, puis ils franchirent les limites de la commune ...
Le maire du village voisin les ramena avec sa propre voiture et le Léon offrit l'apéritif au café du coin. J'imagine leurs propos :
_Bon...
_Voilà...
_C'est très bien comme ça...
_Au moins, là ou elle est, elle peut rester tranquille longtemps ...
_En fait ... elle ne nous appartenait pas vraiment ...
_En attendant ... elle nous aura drôlement rendu service ...
_Ah! Et puis peut-être qu' un jour ... quelqu'un viendra la récupérer ...
_Oh! Vous croyez ...
_Allez savoir ...
-Bon c'est pas le tout, faut finir cette chopine!
-Allez ... A la vôtre ...
_A votre santé ...
_Santé ...
Henri JUST
(1) Prononcer «Beurloup»
A bientôt pour la renaissance