| AUTO-Biographie
Histoire mouvementée de ma B12-Bourguignonne |
Avertissement
Ce récit, à la forme romancée, s 'appuie sur des événements réels. Pour ce qui concerne les quatre premières vies de la voiture, je fais appel à la mémoire familiale, à travers une tradition orale qui n'évite sans doute pas quelques déformations... »positives »! Pour sa cinquième vie, c'est plus simple:nous la partageons. J'en profiterai pour raconter sa troisième renaissance...ou plutôt sa dernière restauration.
Chapitre I – Catastrophe !...
Tout commença dans le milieu des années « vingt » par une visite du marchand de moutons à la ferme de ma grand-mère Françoise. D'ordinaire, il arrivait au pas lent de sa bétaillère hippomobile qu'il laissait « en bas » pour éviter au cheval la grimpette de la cour.
Mais ce matin là, « la Françoise » fût alertée par un rugissement de moteur et des craquements de boîte de vitesse. Pour la première fois, une auto semblait vouloir se hisser jusqu'aux bâtiments posés à mi-côte.
La voiture cala plus qu'elle ne s'arrêta à quinze pas de la porte. Le visage du marchand apparût dans la poussière, cramoisi par l'effort et rayonnant de fierté.
En prenant le café, l'homme, oubliant les affaires qui motivaient sa visite, raconta ses difficultés à choisir la couleur de sa « magnifique B12 berline luxe ».
Après avoir écarté le « rouge pompier » trop voyant, le « gris artillerie » pas assez, il avait hésité entre le « bleu drapeau » et le « bleu canon de fusil » avant de se décider pour ce dernier...
Ah!...Monsieur Citroën savait faire vibrer la fibre patriotique dans ces années qui suivirent la grande guerre!
Dehors, on entendit un « clac » suivi d'un « frtt, frtt- couic, couic » puis d'un « blang » mat et profond qui suspendit la conversation avant qu'un « bling » éclatant ne jette le marchand sur le pas de la porte.
Pétrifié, il vit sa voiture se précipiter en marche arrière sur la barrière du pré aux moutons qu'elle enfonça dans un « crac » sinistre. A peine ralentie, elle bascula dans la « beurdoulée » 1.
L'espace d'un instant, l'argent des phares et le nickel de la calandre renvoyèrent l'éclat de la lumière froide du matin.
« La Françoise » accourue à la barrière, vit, seule, la fin du drame: l'auto cabriolait en zigzagant dans la pente. Elle alla s'écraser contre un vieux saule ombrageux qui la renversa d'un coup d'épaule dans la mare.
Elle envoya un de ses gars chercher le père Mathieu et sa solide paire de boeufs. Lorsque ce dernier arriva, en milieu d'après-midi, il découvrit une scène étonnante: comme c'était un jeudi, tous les gamins du village mais aussi beaucoup de leurs parents, piétinaient autour de la mare, transformant l'endroit en un bourbier impraticable..
En paysan pragmatique, le père Mathieu décida d'observer la prudence tout en faisant mine d'écouter ceux qui lui conseillaient de faire tirer les bœufs « à diou et à dia » 2.
On ne réussit pas à extraire la voiture de sa gangue boueuse...
Le propriétaire, dont l'amour propre et le moral étaient totalement détruits, abandonna l'épave en compensation des dégâts causés à la ferme.3
La magnifique B12, berline luxe, venait de terminer sa vie; pardon, sa première vie.
Des témoins dignes de foi, affirmèrent qu'une étrange lueur brillait dans les phares lorsque le soir tomba...
Une autre petite lueur clignotait déjà dans la tête de « la Françoise ».
Mais ça c'est une autre histoire! ...
Vous la découvrirez au chapitre II
« la carriole de la Françoise ».
à suivre...
Henri JUST
1Beurdoulée : pente raide, petit ravin (patois Bourguignon)
2Tirer « à diou et à dia » (à dieu et à diable): agir sans logique
3La voiture après avoir » largué » son frein à main, avait envoyé la margelle du puits par le fond et enfoncé la porte et le muret de l'enclos des cochons.